Khady : mutilée

Dire que l’on aime ou que l’on aime pas Mutilée ne serait pas approprié. On ouvre d’abord le livre par curiosité, puis on le lit d’une traite, jusqu’à la fin, bouleversé.

Mutilée est un roman. Un document, aussi. Un document, surtout. 237 pages pour témoigner de la vie d’une femme, pour dire la douleur de l’excision dont a été victime Khady. Le livre comporte 10 chapitres, un par épreuve, de celle initiale, terrible, de la mutilation du corps à celle de l’action militante d’une survivante de 45 ans, qui dénonce la barbarie dont sont encore aujourd’hui victimes des millions de femmes africaines.

"Salindée"

Khady a sept ans quand elle est excisée, "salindée", comme au dit en Solinké, le dialecte de l’ethnie sénégalaise à laquelle elle appartient. Etre "salindée" signifie "pouvoir prier", être purifiée par la prière. En Français, "salindée" a une signification bien plus brutale : Excisée ! Un mot qui n’a pas d’équivalent dans sa langue originelle, comme s’il s’était perdu dans les profondeurs des mémoires ancestrales. Voilà pourtant un mot que les petites filles suppliciées du Sénégal hurlent silencieusement depuis des décennies. En témoignant de son propre supplice, Khady donnent des mots aux cris perdus de ces petites filles. Elle parle de « la douleur inexplicable, qui ne ressemble à aucune autre" ; elle décrit le ciseau qui pénètre sous son sexe d’enfant comme "un rat affamé", semblable à une "armée de fourmis". Les mots sont durs, comme le sera à jamais la vie des petites filles "salindées".

Un cri de colère, de douleur et de rage

L’excision n’est malheureusement que l’acte fondateur du parcours douloureux des femmes dans une société extrêmement codifiée. "La tradition veut que lorsqu’une fille est mariée à la mosquée, les autres filles se précipitent pour lui donner un coup de poing sur la tête" écrit Khady. Elle-même sera mariée à 13 ans. Un mariage arrangé avec un « inconnu » plus âgé, qui lui fera trois enfants. La maternité n’effacera pas la douleur dans son ventre, "l’intime blessure" qui "ne cicatrisera jamais".

Khady a écrit son livre pour "vider son sac. (...). C’est un livre de cri, de colère, de douleur, de rage,(...) mais c’est aussi un livre d’espoir. Je voudrais que ce soit un livre de débat entre l’ancienne et la nouvelle génération. Ce qui manque chez beaucoup de femmes africaines, c’est le dialogue." Khady a eu le courage de parler, juste de parler, pour rompre le silence de tout un peuple, accroché à des traditions d’un autre temps. Mutilée est une prise de parole salvatrice, pour dénoncer une pratique d’autant plus barbare qu’elle est d’abord exercée par les mères, les grands-mères, par les victimes devenues bourreaux. Comme l’est devenue Khady à son tour. Elle fait « salinder » ses petites filles. "C’est une logique, explique-t-elle, les femmes perpétuent cette tradition horrible avec art, de manière automatique. De génération en génération, on ne se demande pas si ce qu’on fait est bien ou pas. On nous a fait croire, à nous, les femmes, que c’est pour la fécondité, la fidélité".

Le combat

Aujourd’hui, Khady n’en peut plus de cette immense hypocrisie qui permet aux hommes de confisquer et de contrôler le désir des femmes. "Je dis aux hommes, lance-t-elle, rendez-nous ce que vous nous avez pris » ; avant d’appeler à l’éducation des femmes. "Il faut apprendre aux femmes ce qu’est leur corps, il faut surtout leur apprendre à lire et écrire, à réfléchir. Mais la majorité des femmes à qui je m’adresse sont analphabètes", déplore Khady. De fait : "l’Afrique profonde n’est pas prête" reconnaît-elle. Khady est pourtant résolue à lutter, et le titre du dernier chapitre du livre est sans équivoque : « Combat ».

Khady est aujourd’hui présidente du réseau européen de lutte contre les mutilations sexuelles féminines. 2 millions de jeunes filles subissent encore l’excision chaque année, dont 60 000 en France. Le combat de Khady ne fait que commencer.


Mutilée, de Khady et Marie-Thérèse Cuny

Oh ! éditions, 231 pages, 18.90 € - sortie le 17 octobre 2005


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Le 16 octobre 2005

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