Mathieu Boogaerts : Interview

Trois ans après Michel, Mathieu Boogaerts revient avec un cinquième opus, I Love You, qui en étonnera plus d’un. Exit la tendre mélancolie devenue sa marque de fabrique : Mathieu Boogaerts a décidé de nous faire danser. Composé à la batterie, cet album surprenant navigue entre rythmes groovy, refrains obsédants et cœurs déjantés. Un ovni musical bien séduisant.


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Le Magazine.info : Vous vous êtes retiré à Bruxelles pendant plus d’un an pour composer seul cet album. Comment trouve-t-on l’inspiration dans cet isolement ?

Mathieu Boogaerts : J’ai composé cet album de mai 2007 à septembre 2008. Ce qui, finalement, est assez peu par rapport à mes précédents. Le fait de changer de processus a accéléré la phase de composition qui a duré seulement 15 mois, quasiment à plein temps. Quant à l’isolement, pour moi, la création se fait dans le silence, le calme, comme dans une sorte de retraite. J’ai un besoin inconscient d’aller me cacher pour composer. Ce qui prend du temps, c’est de chercher et surtout, souvent, de ne pas trouver. Pour mener à bien ce processus, j’ai besoin qu’il n’y ait aucun témoin. Que ce soit à Bruxelles dans un ancien stand de tir ou en Afrique dans un village, comme c’était le cas pour mes précédents albums, la démarche est la même : aller se cacher, s’isoler du regard des autres. C’est mon fonctionnement propre.

Le Magazine.info : Y-a-t-il dans cet album une volonté de casser votre image de chanteur lunaire et mélancolique ?

Mathieu Boogaerts : Il n’y a pas de volonté consciente de changer d’image. La volonté de changement est dans mon rapport à moi-même, pas dans mon rapport aux regards des gens. J’ai simplement choisi de changer de mode d’écriture. Sur tous les précédents albums, la composition se faisait au piano et à la guitare, de manière très naturelle, sans jamais chercher à écrire une chanson. J’étais tout le temps en train de jouer et, parfois, une suite d’accords émergeait, un mot… Quelque chose de complètement gratuit, qui arrivait sans que je le cherche et sur lequel je rebondissais pour écrire une chanson. C’est comme quand tu griffonnes sans vraiment y penser et qu’à un moment, un dessin se construit de manière très spontanée. Tous ces premiers jets des chansons se faisaient avec une guitare ou un piano ce qui induisait des choses très mélodiques, parce que naturellement, avec ces instruments, mes chansons deviennent tendres, mélodiques, un peu mélancoliques… c’est comme ça.

Le Magazine.info : Et pour cet album, comment cela c’est-il passé ? 

Mathieu Boogaerts : Pour ce cinquième disque, j’ai senti que je devais changer de méthode. J’ai décidé de composer à la batterie. Je m’étais aperçu lors de buffs que sur des rythmes de batteries, j’avais envie de chanter d’une manière complètement différente. Cela m’inspirait des choses qui ne me seraient jamais venues à l’esprit avec une guitare. Pour reprendre l’exemple du dessin, c’est comme si j’avais toujours fait des dessins aux crayons de papier et que je me retrouve avec un rouleau : je m’aperçois que je ne dessine plus du tout les mêmes choses, que je dessine des buildings plutôt que des petites fleurs. Le fait que la composition soit née de la batterie induit des cycles courts, avec moins de mélodies, moins d’accords, des phrases beaucoup plus courtes… Et finalement cela donne un disque plus rythmique, plus dynamique : je chante plus fort, plus court, un peu moins mélodique, moins mélancolique… Cela dit, avant de commencer ce disque, je ne savais pas du tout à quoi il ressemblerait.

Le Magazine.info : L’utilisation des cœurs et du synthétiseur crée une ambiance décalée, un peu déjantée. Qu’est-ce qui vous a inspiré cet univers ?

Mathieu Boogaerts : Je ne sais pas. L’inspiration, c’est vraiment quelque chose de très inconscient. Pourquoi je vais faire cette note plutôt qu’une autre ? Pourquoi je préfère ce son ? Je ne sais pas. Comme j’avais tout fait seul, je voulais colorer le disque avec une présence extérieure à moi. J’ai pensé à des voix dans un style un peu décalé, plus proche des cris que du chant. Comme les choeurs se superposaient à des riffs, il ne fallait pas quelque chose de top mélodieux, mais plutôt rythmique et masculin. Mais cela n’est pas venu d’une idée consciente, cela s’est fait naturellement. Si j’avais composé un album à la harpe, j’aurais sûrement mis des voix mélodieuses de sirènes. Le Magazine.info : Et sur scène, vous serez derrière votre batterie ? Mathieu Boogaerts : Cette question-là, je ne me la pose que maintenant. Quand je crée un disque je ne me demande à aucun moment comment je vais le jouer sur scène. Je m’en fous complètement. Ce sont deux choses très différentes. Je me réjouis d’avoir à concevoir ce concert, mais c’est une deuxième phase de création. Je serai un peu derrière la batterie, mais pas majoritairement parce que j’aime bien bouger et danser. Derrière une batterie, tu es forcément un peu figé et c’est un peu frustrant pour le public. Et puis, lors de sessions live de promotion, où il m’était plus simple d’être seul plutôt qu’avec une équipe, j’ai chanté ces chansons à la guitare et, finalement, ça fonctionnait plutôt bien. Je n’aurais jamais « trouvé » ces chansons avec une guitare, mais, finalement, elles se jouent très bien avec et le public trouve cela naturel.

Le Magazine.info : Pensez-vous avoir fait un album plus difficile d’accès ? Craigniez-vous de déstabiliser votre public ?

Mathieu Boogaerts : Il ne faut pas que je pense à ça ! Ma fonction et mon rôle, c’est d’imposer des choses. Je ne suis pas là pour faire une étude de marché. J’assume et j’ai la prétention de proposer des choses personnelles. Si ça plaît tant mieux sinon… dommage ! Personnellement, je ne trouve pas cet album difficile. Je ne comprends pas comment il peut l’être tant il est naturel pour moi. En réalité, il me paraît même plus simple d’accès que les précédents. Je peux comprendre que les gens qui attendent quelque chose de moi puissent être déstabilisés. C’est comme si tu allais voir un film de Woody Allen et que tu te retrouves au Vietnam avec des mitraillettes ! En général, les gens qui n’aiment pas ce disque sont ceux qui s’attendent à quelque chose de plus tendre, plus fleur bleue. Ceux qui me connaissent moins bien et qui n’ont pas d’attente particulière accrochent beaucoup plus vite.


I Love You de Mathieu Boogaerts chez Tôt ou Tard, sorti en novembre 2008. En concert à Paris à l’Alhambra les 12 & 13 mars 2009.


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Le 10 février 2011

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